
La promotion des méthodes contraceptives s’inscrit dans une dynamique globale de renforcement de la santé sexuelle et reproductive, de réduction des grossesses non désirées, et de soutien au développement durable. Toutefois, malgré les nombreux avantages prouvés de la contraception tant sur le plan sanitaire que socioéconomique, sa mise en œuvre se heurte à de multiples résistances qui ne sont pas uniquement d’ordre technique ou logistique. Elles trouvent aussi leurs racines dans des normes socioculturelles, des croyances religieuses, des inégalités de genre, et parfois même des perceptions erronées liées aux effets secondaires des méthodes disponibles. Ces obstacles freinent l’efficacité des politiques publiques et des programmes de sensibilisation, et contribuent à maintenir des taux élevés de grossesses précoces et non planifiées.
Le mercredi 24 septembre 2025, dans les couloirs de la maternité du Centre hospitalier préfectoral (CHP) de Kpalimé, l’ambiance est révélatrice. Femmes enceintes, jeunes filles ou patientes venues consulter un gynécologue ou une sage-femme, toutes se croisent. Mais à la question : « Utilisez-vous une méthode contraceptive ? », les regards s’évitent et le silence domine. « Non, je ne sais pas de quoi il s’agit », finit par avouer une jeune fille en attente de consultation.
Pour les professionnels de santé, ce mutisme est familier. « La planification familiale demeure encore un sujet tabou pour beaucoup de femmes », déplore Enyonam Agbokpe, sage-femme et surveillante à la maternité du Centre hospitalier préfectoral (CHP) de Kpalimé. Pourtant, elle touche à une question essentielle : l’éducation et les droits en santé sexuelle et reproductive (DSSR). Ces droits impliquent de pouvoir choisir librement et de manière éclairée si, quand et combien d’enfants avoir.

Un enjeu vital pour les femmes et la société
Définie comme l’ensemble des moyens mis à la disposition des individus et des couples pour leur permettre de vivre une sexualité responsable, d’éviter les grossesses non désirées, d’espacer les naissances et de déterminer la taille de leur famille, la planification familiale offre de nombreux avantages.
Comme le rappelle Sonhaye Ninko Tabiou, responsable des interventions Santé maternelle et infantile (SMI) à la Direction de la santé maternelle, infantile et planification familiale (DSMIPF) :
La planification familiale permet de réduire la mortalité maternelle et infantile, de prévenir les grossesses à risques, d’améliorer l’état nutritionnel de l’enfant et la qualité de vie du couple, mais aussi de garantir l’accès à l’éducation pour tous les enfants.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime d’ailleurs que le nombre élevé de grossesses non désirées est directement lié au manque d’accès aux services de planification familiale. Une PF bien conduite pourrait réduire de 30 % la mortalité maternelle, soutient l’organisation onusienne. Le Togo en est conscient, d’où l’inscription de la planification familiale dans la Loi N° 2007 – 005 du 10 janvier 2007 sur la santé de la reproduction.

Cependant, l’adoption des contraceptifs par la majorité fait face à des barrières persistantes.
Quand les traditions et les croyances freinent l’adoption
« Les tabous socioculturels et l’influence religieuse freinent l’adoption des méthodes modernes. Beaucoup de femmes craignent d’être jugées par leur entourage. A cela s’ajoutent l’insuffisance de ressources financières, les ruptures ponctuelles de produits contraceptifs, le manque d’information et la persistance de mythes autour des contraceptifs », explique Jules Kpanté Broukoum, assistant programmes chargé de la mobilisation des ressources et du plaidoyer à l’Association togolaise pour le bien-être familial (ATBEF).
Ces résistances, Enyonam Agbokpe les vit au quotidien.
Beaucoup de femmes viennent en cachette, raconte-t-elle. Mais quand leur mari découvre qu’elles utilisent un contraceptif, il les oblige parfois à l’arrêter. Dans plusieurs familles, c’est l’homme qui décide de tout, y compris de la santé de sa femme.
Les convictions religieuses constituent également un frein. Certaines communautés considèrent encore la contraception comme contraire à leurs valeurs. Les professionnels de santé ne sont pas exclu.
Même parmi les prestataires, confie la sage-femme, il arrive que des croyances personnelles influencent la manière dont les méthodes sont proposées aux patientes.
Le désengagement des bailleurs, un coup dur
La barrière économique n’est pas à négliger. Bien que subventionnés, les produits contraceptifs ne sont pas gratuits partout. « Chez nous, le prix le plus bas est de 800 F CFA, le plus élevé peut grimper à 3 500 F CFA », explique Enyonam Agbokpe. Une somme considérable pour de nombreuses familles rurales.
Au CHP de Kpalimé, seules 1 400 femmes bénéficient régulièrement des services de planification familiale, sur une population de plus de 100 000 habitants. Ce chiffre illustre le fossé entre besoins et couverture effective.

Pendant des années, les programmes de planification familiale ont été largement soutenus par des partenaires techniques, notamment l’USAID. Mais avec le retrait progressif puis la fermeture de ce soutien, le pays fait face à un vide inquiétant.
Avant, beaucoup d’activités étaient financées par l’USAID, souligne Enyonam Agbokpe. Aujourd’hui, avec leur retrait, nous manquons de moyens. Les journées portes ouvertes qui facilitaient l’accès aux méthodes deviennent plus rares.
Ce désengagement fragilise la disponibilité des produits et limite les campagnes de sensibilisation.
Quand les femmes parlent, entre peur et espoir
Les témoignages des femmes traduisent la réalité. Certaines disent avoir renoncé à la contraception par peur des rumeurs. D’autres craignent les effets secondaires (qui sont pourtant expliqués clairement lors de la consultation) ou les représailles de leur conjoint.
« Si je tombe enceinte chaque année, qui s’occupera de mes enfants ? », interroge une jeune mère croisée dans les couloirs du CHP. Mais aussitôt, elle baisse la voix : « Mon mari ne veut pas que j’en parle ».
D’autres, au contraire, témoignent des bénéfices. « Grâce aux implants, j’ai pu espacer mes grossesses, raconte une vendeuse au marcher. J’ai pu reprendre mon commerce et mes enfants sont en meilleure santé ».
L’urgence d’agir
Malgré les programmes lancés par le ministère de la santé – campagne CARMMA, soins obstétricaux et néonatals d’urgence, subvention des césariennes, programme Wezou – la planification familiale peine à convaincre au-delà des cercles déjà sensibilisés.
A l’échelle nationale, la situation reste préoccupante. En 2022, la prévalence contraceptive moderne n’atteignait que 24,7 %, bien en deçà de l’objectif de 35 % fixé par le gouvernement. Deux ans plus tard, en 2024, près d’un tiers des femmes en âge de procréer déclaraient encore un besoin non satisfait en matière de planification familiale. Des données du ministère de la Santé qui traduisent l’écart entre les ambitions affichées et la réalité du terrain.
Les conséquences se mesurent jusque dans les indicateurs de santé. En 2023, le Togo enregistrait un ratio de mortalité maternelle de 362 décès pour 100 000 naissances vivantes. Un chiffre qui, malgré les efforts des autorités sanitaires et de leurs partenaires, reste largement au-dessus des normes souhaitées et rappelle l’urgence de renforcer l’accès à la planification familiale.
Un combat collectif
Convaincu de l’importance de la planification familiale, Sonhaye Ninko Tabiou insiste :
Une planification familiale est un levier essentiel pour atteindre les objectifs de développement durable.

Mais pour que le message passe, il faudra briser les tabous, réduire les coûts, renforcer la disponibilité des produits et surtout impliquer les hommes et les leaders religieux.
La planification familiale ne peut pas être l’affaire des femmes seules. Elle doit mobiliser conjoints, familles, communautés, prestataires et décideurs. « Les femmes doivent comprendre que leur santé est en jeu, mais les hommes aussi doivent s’impliquer », martèle Enyonam Agbokpe.
L’ATBEF joue sa partition
Depuis plus de 50 ans, l’ATBEF tente de combler les manquements. Avec ses cliniques fixes, ses cliniques mobiles et son réseau de près de 800 agents de santé communautaires, l’association contribue à plus de 15 % des utilisateurs de méthodes modernes au Togo. Elle mène aussi des plaidoyers auprès des décideurs. « Nous avons introduit l’éducation aux valeurs et à la santé sexuelle (EVSS) dans les écoles, explique Jules Kpanté Broukoum. Nous travaillons avec les leaders communautaires et religieux pour lever les tabous. Mais les besoins restent immenses ».

Le Togo a promis de sauver des vies et de garantir aux familles la liberté de choix. Mais tant que les freins culturels, religieux et financiers domineront, la planification familiale restera un droit menacé… et des vies continueront d’être sacrifiées. Face à ces défis, repenser les stratégies de promotion de la contraception apparaît indispensable pour lever les freins et favoriser une appropriation durable des méthodes contraceptives.































